“Jamais dans le champ des conflits humains tant de gens n’ont dû autant à si peu d’hommes” . (Churchill 1940)
Avril 1975.
J’avais 20 ans et des hordes sorties de toutes les bouches de l’enfer se ruaient sur nos régions pour, comme l’avait promis en riant Yasser Arafat, les soumettre en 48 heures. Ces apatrides qui pensaient que la route de la Palestine passait par Jounieh, se permettaient déjà, depuis le funeste accord du Caire, de nous arrêter à des barrages improvisés pour réclamer nos papiers d d’identité et nous humilier dans notre propre pays.
Avril 1975.
J’avais 20 ans et des jeunes de chez nous, venus d’on ne sait quel quartier ou quel village, se précipitaient comme un seul homme pour stopper, avec des armes de fortune, parfois des fusils de chasse et bien peu de munitions, l’invasion de nos régions et les massacres qui s’en seraient suivis. Des lionceaux qui, sans la moindre organisation et payant de leur vie et de milliers de membres amputés ont réussi à arrêter net les attaques de ce que cet Orient de tous les malheurs pouvait compter de plus infâme.
Furent-ils toujours exemplaires ? Bien sûr que non. Mais l’Histoire nous montre comment les armées les plus sophistiquées, bardées de Conventions de Genève, ne sont pas immunisées contre les inévitables bavures et les fameux “tirs amis” né du chaos de la guerre. Ceux qui ont vécu cette époque savent bien dans quel contexte de folie tout cela se déroulait.
C’est durant ces nuits d’épouvante absolue quand les obus s’abattaient sur nos régions comme la pluie et qu une soldatesque en furie essayait de s’infiltrer pas la moindre rue non gardée que j’ai conçu pour nos magnifiques petits jeunes une reconnaissance éternelle. Toujours malade à l idée que les autres communautés traitaient leurs combattants en héros et en martyrs, placardant leurs photos dans toutes les rues, tandis que certains, chez nous, snobinards et prétentieux, traitaient ceux qui les sauvaient de criminels et de voyous.
Infâme ingratitude de cette communauté…
Octobre 1990.
J’avais déjà 35 ans et ceux de nos petits jeunes qui avaient survécu se battaient toujours et aucune force n’avait pu encore percer nos barrières. La fatalité a voulu qu’un quarteron de putschistes, aveuglés par l’ambition et usant d’une démagogie délirante, ait décidé de voler le flambeau de cette résistance magnifique et d’user de sa flamme pour mettre le feu à nos régions et ensuite nous livrer à la pire des soldatesques.
Ces vieux soldats inutiles qui avaient pantouflé durant toute la guerre dans leurs casernes, enrageaient de s’être fait voler l’honneur de défendre la patrie par de jeunes miliciens qui, avec des armes de fortune, un commandement improvisé et des moyens dérisoires avaient réinventé l’art de la résistance. Leur haine contre ces jeunes a survécu à tout et même aujourd’hui, 30 ans plus tard, aucune occasion n’est assez mauvaise pour flétrir leurs morts et traiter leurs survivants d’assassins.
Ces magnifiques petits jeunes auxquels je dois, moi, d’avoir pu survivre, étudier, travailler et subvenir aux besoins d’une famille…
Juin 2021.
Nous avons tous vieilli, mais bien d’entre nous ont encore ce coeur de 20 ans qui ne peut écouter sans larmes la voix de Bachir, notre rêve et notre légende. Bachir est bien triste aujourd’hui de voir l’état auquel est réduit ce pays qu’il a tant aimé. Mais l’Histoire n’est pas finie, elle s’écrit tous les jours et la résistance qu’il a créée et payée de son sang est encore là.
Ce vieux pays éternellement jeune, un des plus cités dans la Bible, a toujours surpris ceux qui espéraient l’enterrer un peu trop vite.
A suivre donc.
Anonyme