Vous avez dit Commémoration ?

Quelle commémoration ?
Les murs de la ville résonnent encore des narrations de plaies qui continuent à saigner. Une commémoration est le souvenir d’une souffrance, d’une blessure qui jadis a fait mal et qui a fini par se cicatriser, selon un long processus… qui n’a pas eu lieu le cas échéant.

Le trauma est bel et bien là. Il y a ceux qui l’ont ressenti directement sur leur chair et les autres, qui ont mis plusieurs jours voire plusieurs mois à en prendre conscience. Il a été collectif, et il perdure encore à travers toute une symptomatologie qui va des angoisses, phobies, insomnies jusqu’à la somatisation.

Puis la reconnaissance… qui n’a jamais eu lieu. Les victimes ont besoin plus de reconnaissance du tort qui leur a été fait que de justice ou de vengeance à l’égard des coupables (qui viendra plus tard pour boucler la boucle). Et là, du Président de la République au plus petit fonctionnaire tous ont lamentablement failli, et ils sont impardonnables. Silence radio et absence totale, voire déni et dénégation. Décréter un jour de deuil national, un an plus tard est un cache misère dont ils devraient avoir d’autant plus honte que leur fonction est élevée dans l’Etat.

Puis la résilience, parce qu’il faut bien que la vie continue, et que la pulsion de vie puisse l’emporter sur la pulsion de mort. Mais quelle résilience si la plaie saigne toujours ?

Puis la cicatrisation de la plaie, la diminution de la souffrance, et alors la commémoration d’une souffrance qu’on n’oublie pas, mais qu’on aurait appris à surmonter.

Rien de tout cela n’a eu lieu.

Le drame du Liban, c’est qu’on est pressé de tourner les pages de l’Histoire avant de les avoir lues. C’est la raison pour laquelle elles se présentent à chaque fois plus dures et plus mortifères. Ce fut le cas en 2005-2006, mais aussi en 90-91, 75-90, 58 et on peut remonter dans l’histoire jusqu’en 1840-1860, et plus loin du temps des ottomans, des mamelouks et jusqu’à la nuit des temps.

On peut toujours refouler vers l’Inconscient des événements de vie qui dérangent, et qui empêchent d’avancer. Mais l’Inconscient, surtout s’il est collectif n’oublie jamais. Pire, c’est lui qui en sous-main dirige et téléguide tous nos comportements, et toutes nos actions. Plus on le charge en refoulements, plus la réaction est violente et mortifère.

Allez vous rhabiller avec toutes vos célébrations. Le temps des kermesses est révolu.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de faire notre deuil.

Krikor Sahakian

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