Septembre des martyrs est arrivé, flottant sur une vague de chaleur, une houle d’incertitudes, sous un ciel oppressant.
Il trempe ses extrémités dans les larmes des mères et le sang de leurs enfants martyrs.
C’est le mois de la pluie, de la conscience du danger et celle du prix de la liberté.
Ils sont partis vers le sacrifice ultime par convois entiers. Ils ont été fauchés par milliers par les faucilles de la haine et les desseins maléfiques des imposteurs.
Je les ai connus, je les ai aimés, je les ai enterrés, je les ai pleurés et je m’en inspire toujours.
Leurs fils grandirent et dépassèrent l’âge des pères le jour de leur martyre. Ils ne les connaissent qu’à travers des photos jaunies, qu’à travers les récits d’une mère, les histoires d’une grand-mère et le silence d’un grand-père à l’âme meurtrie. Il y a aussi les anecdotes des compagnons traînant à vie la lourde culpabilité des survivants.
Mes camarades martyrs,
Aujourd’hui un abîme sépare notre réalité de votre rêve, comme la terrible vallée des ombres de la mort.
Votre rêve était synonyme de vie, de joie, d’identité et de patrie.
Si vous voyez l’état du Liban d’aujourd’hui, de grâce détournez l’œil, car vous infliger une nouvelle douleur serait aussi cruel qu’injuste .
Vous êtes le phare alors que la patrie flotte au gré des vagues tel un bateau ivre. Le phare n’est pas à blâmer si le capitaine en détourne le regard et que le bateau risque de chavirer. Les caprices du capitaine incompétent sont plus périlleux que le vent et le courant réunis.
Comment une personne honnête et saine d’esprit peut-elle comprendre l’ingratitude, la trahison, le déni, dont nos martyrs ont été victimes au sein même de notre société?
Rarement dans l’histoire des sociétés humaines y a t il eu autant d’arrogance face au sacrifice ultime.
J’ai vu de mes propres yeux une jeune russe déposer le jour de son mariage son bouquet de mariée sur la tombe du soldat inconnu à Moscou.
Je contemplais à Paris les noms des résistants tombés pour sa libération.
L’enfant du martyr y est appelé « pupille de la nation », pupille désignant à la fois l’enfant mais aussi l’organe le plus précieux de l’oeil, à travers lequel on voit et on admire le monde.
Pourquoi une partie de notre société a-t-elle nié la valeur de ses propres martyrs et de leurs sacrifices? Pourtant ce sont ses enfants, ses martyrs, ceux de la patrie et de la nation et non pas ceux des Forces libanaises ou même de la Résistance libanaise exclusivement. Ils ont osé et agit, pour protéger une société menacée, un État qui a failli et un pays à la dérive. Ils voulaient
la vie pour la communauté, l’État et le pays au prix de leur propre vie. Ils ont perdu la vie sans obtenir la reconnaissance des leurs. Sans la reconnaissance de la société et l’adoption des sacrifices de ses enfants, il n’y a ni État ni patrie ni avenir.
Sont-ils morts pour rien?
Non, ils ne sont pas morts pour rien. S’ils sont morts pour rien cela signifie que nous vivons et que nous mourrons pour rien.
Le martyre est un héritage et si l’héritage est dilapidé c’est l’héritier qui est le perdant et non pas le donateur.
Il n’y a pas de place pour nos martyrs dans le jeu du pouvoir. Toute la place leur appartient dans le cœur, l’âme et les valeurs de la nation.
Ils sont l’étoile du Nord qui orne la voûte céleste et qui nous guide.
Ne vous reposez pas mes camarades. Tant que vous êtes éveillés nous le serons. Les peuples meurent dans leur sommeil.
Levez-vous et secouez la terre qui vous couvre. Appropriez vous nos voix, nos actes et nos consciences.
Colonisez nos esprits, habitez nos terres, le Liban doit vous ressembler et il n’y a que vous qui pouvez nous rassembler.
Vous avez vaincu la peur, la cruauté, l’espace et le temps.
Vous êtes les vraies pupilles de nos yeux et de nos âmes.
A travers vous on voit clairement un lendemain lumineux.
Pierre Bou Assi