La peur d’avoir honte. Sandra Khawam

Le Courrier International titrait il y a quelques jours : “un sans-abri amoureux des livres”. Un portrait qui laisse à réfléchir sur la situation d’une société soudainement appauvrie malgré les photos festives qui circulent sur les réseaux sociaux ,des photos qui font fi de la souffrance indicible de 80 % de la population libanaise.

Il suffirait d’observer les caddies vides , même en début de mois pour se rendre compte de l’effondrement économique et psychologique des gens, de la perte rapide des repères qui propulse toute une société hors du monde civilisé.
Rage, impuissance, honte, résignation. Dans l’ordre, depuis le 17 octobre.

Confondu avec la pudeur ou la culpabilité, le sentiment de honte est une émotion différente de toutes les autres. Par son caractère catastrophique en premier du fait qu’on en parle si peu. Que dire? Surtout quand on pense que d’autres s’en sortent mieux, qu’ils ont su faire, sortir du cash des banques, se trouver un emploi payé en “fresh”, négocier son salaire etc. Contrairement à la culpabilité qui est un sentiment structurant et appelle à la réparation, la honte est un sentiment désintégrateur qui casse la personne.
C’est le sentiment que le monde peut tourner et tourne sans eux, le sentiment de se sentir exclu de son cercle, des sorties,  de la vie. C’est l’angoisse du lendemain ,angoisse légitime. Un sentiment difficile à reconnaître, même en son for intérieur…. Pire, la honte est contagieuse et passe d’une personne à une autre par identification à la personne l’éprouvant.

Ce qui est terrible,c’est que face à la honte, le premier aménagement, aménagement catastrophique, consiste le plus souvent à se résigner. Ainsi les gens renoncent à toute éventualité de pouvoir la dépasser et l’acceptent comme une fatalité. Ils se cachent par anticipation anxieuse, par peur de rencontrer le regard de l’autre. Ce sentiment de honte est un sentiment individuel et collectif quasi national de déchéance puisque toutes les classes sociales sont concernées, exceptée une minorité ultra riche.

Ceux qui refusent de l’accepter sont obligés de quitter le pays. Question de survie psychologique mais aussi de survie tout court. Mais partir n’est-ce pas mourir un peu? Reviendront-ils? Rien n’est moins sûr. Le traumatisme des dernières années pèsera dans toute éventuelle décision de retour.

Entre ceux qui sont partis et ceux qui restent au pays, résignés ,l’ennemi aura gagné la guerre sans tirer un seul coup de feu…

Crédit photo : DR Courrier International

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